• Interdit aux chiens, même tenus en laisse.

    Il y a quelques jours, mon Maître partit faire un petit tour à travers les rues de Paris en me promenant en laisse. C'est étrange de voir tout les passants se retourner pour nous regarder. Surtout quand ceux qui se retournent se retrouvent avec des sourires aux lèvres, d'amusement, ou peut-être même parfois d'excitation. Je me suis déjà un peu accoutumé au regard des gens, étant donné le nombre de fois que je me suis retrouvé à genoux devant mon Maître en public (et plus selon l'envie), mais cela ne m'empêchait pas de tenter de me faire tout petit, légèrement honteux. Que voulez-vous, je n'ai pas été souvent sorti en laisse, je n'ai pas vraiment l'habitude.

    Nous étions justement au pied d'une tour, moi à genoux devant le Maître, toujours la laisse au collier, quand s'est déroulée la scène dont je voulais vous parler.

     

    J'étais donc à genoux sur le trottoir, les yeux baissés, quelques passants passant tout près de moi. La douce chaleur de l'humiliation avait déjà envahi depuis un bon moment tout mon frêle petit corps, mais je me sentais malgré tout confortablement installé à ma place attitrée. Le Maître était debout, pianotait sur son téléphone, et m'ignorait superbement.

    Un passant passa, s'arrêta, et apostropha mon Maître.

    « - T'es sérieux ? Demanda-t-il.

    - Ben oui, je suis sérieux. »

    J'étais inquiet, le ton agressif de l'inconnu me laissait craindre le pire et je me préparais mentalement à défendre mon Maître si cela s'imposait. Mais je restais docilement immobile, les yeux baissé. Je ne saurai jamais à quoi ressemblait ce monsieur.

    « - Ca va pas, pauvre con ? Expliqua-t-il aimablement. Je travaille avec des enfants ici, mouah ! »

    Mon Maître alors, en bon diplomate, et certainement agacé par le ton irritable et injurieux de ce monsieur, décida de s'adonner à son goût pour la provocation et répondit d'un simple :

    « - Mais on s'en fout de tes mômes.

    - Sérieux ?

    - Oui.

    - Sérieux ?

    - Oui. »

    Et ce monsieur rentra dans la tour en trombe et en maugréant.

    Une ou deux minutes après, parce que mon Maître avait fini avec son téléphone et probablement aussi parce qu'il n'avait pas envie de le voir potentiellement revenir avec des copains musclés, nous reprîmes notre ballade, moi toujours tenu en laisse et légèrement en retrait à côté de lui.

     

    Outre espérer que ce monsieur apprend aux enfants dont il s'occupe autre chose que son agressivité et son mépris, j'aimerais rapidement relever un petit passage de la discussion. Ce monsieur nous a dit « Je travaille avec des enfants, mouah ! » (et le « moi » n'est pas orthographié ainsi par hasard). Pas « Il y a des enfants ici, vous avez au moins pensé à eux ? », non, c'était « Je travaille avec des enfants, mouah ». On peut légitimement se demander si ce monsieur était dérangé par l'éventualité qu'on puisse montrer à des enfants une scène choquante, ou si la véritable raison de son irritation était le fait qu'on dégradait le cadre de son travail, et donc possiblement son efficacité dans celui-ci.

     

    Mais bon, passons, et arrivons au véritable sujet de cet article. Nous avons montré à des enfants une scène choquante, un homme à genoux tenu en laisse par un autre homme. Oui, et après ?

    Je veux dire, quels étaient les véritables risques pour un enfant ? Le pire, je crois, aurait été de l'incompréhension. Un enfant en bas âge n'aurait pas été choqué ou outré, ils ne sont pas encore, à leur âge, suffisamment familiers avec les codes moraux de notre société pour cela. Ce n'était pas assez « hard » pour pouvoir les traumatiser, et je suis prêt à parier que la réaction majoritaire des enfants, en tout cas parmi ceux ayant relevé l'étrangeté de cette scène, aurait été de demander « pourquoi le monsieur est attaché ? » à ses parents ou à mon Maître. Et après ?

    Ce n'est pas aussi en répondant à leurs questions, en les confrontant à des situations qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils ne souhaitent pas, qu'on éduque un enfant ? Ne leur dit-on jamais « non » ? Ne demandent-ils jamais pourquoi les garçons/filles sont différent(e)s, pourquoi la guerre, pourquoi la famine dans le monde, pourquoi les vieux sont ridés, pourquoi le ciel est bleu ? N'entendent-ils jamais un jour ou l'autre les mots tabous de « sexe », de « zizi », d'« homosexualité » ou de « fellation » ? Ne leur montre t-on jamais, de plein gré, les méchants du cinéma ou le meurtre de la maman de Bambi ?

    Les enfants sont régulièrement confronté à des situations d'incompréhension et de frustration, et c'est justement en les affrontant qu'ils forgent leur personnalité, leur capacité à comprendre et accepter la vie et le monde qui les attend. Je n'aime pas cette manie de vouloir couper les enfants de la réalité, de vouloir leur montrer un monde tout rose où les gens sont tous « normaux », où personne ne veut faire de mal à personne sauf les vilains méchants qui sont toujours vaincus par les gentils, où les enfants sortent des choux et où l'Amour consiste à aller sauver la princesse et à recevoir en retour un bisou sur la joue. Ça les prépare tellement bien à affronter la vraie vérité, vous savez, durant ce moment fatidique où l'enfant se met à en vouloir à ses parents pour lui avoir menti et à lui-même sans vraiment comprendre pourquoi. On appelle ça l'inéluctable « crise d'adolescence », ou « âge con », auquel on répond souvent en substance « ferme-la et attend que ça passe. »

    L'âge con, des années que j'ai perdu à tenter de me comprendre, et d'autre que j'ai perdu à ne pas avoir appris à m'accepter...

     

    Je me souviens, j'ai lu une personne dont le nom m'échappe se lamenter de la vie d'autrefois (encore un). A ses yeux, il y avait à cette époque plus d'unité, plus de fraternité entre les hommes, car tous suivaient les mêmes préceptes de vie. Qu'on fût curé ou professeur laïque, on enseignait les même mœurs, les même normes, et le monde ne s'en portait que mieux. Aujourd'hui, chacun choisit ses propres préceptes moraux, et on finit dans un égoïsme généralisé et dans une peur paranoïaque de l'autre.

    Pour commencer, j'ai envie de loler, mais comme je me dis que je ne suis pas un kikoolol, je me contenterai de rire. On a pas attendu le XXème siècle pour inventer des concepts tels que massacrer massivement et de piller (oups pardon, de guerroyer dans une guerre juste), de génocider, de laisser dépérir dans la misère, et autres gentillesses. N'ont pas plus disparu dans le siècle dernier l'idée de charité ou de solidarité. Seuls les moyens et les techniques ont changé, d'un côté comme de l'autre.

    D'ailleurs, les marginaux ne sont pas plus apparu du jour au lendemain dans le XXème siècle. Il suffit de relever l'existence de Masoch, mais ce n'est pas le seul. Je suis vraiment désolé de ne pas retrouver de source sur internet pour étayer, mais j'ai entendu dire qu'un philosophe grec, encore célèbre aujourd'hui, mais je ne sais plus lequel, demandait à ses esclaves de l'enchaîner et de le fouetter. Et je ne parle là que de masochisme (je vous prie de m'excuser, monsieur Masoch. Je sais que vous ne vouliez pas voir votre nom ainsi utilisé, mais on a pas vraiment d'autres mots actuellement). Il y a probablement de nombreux cas dans toute les marginalités, et pas seulement sexuelles. Les normes n'étaient probablement pas mieux suivies autrefois que maintenant. Pas moins non plus par ailleurs.

    Et même si c'était le cas, si dans un autre temps, tout les hommes suivaient les mêmes préceptes, les mêmes conduites de vie, trouvez-vous sincèrement cela idéal ? Pensez-vous qu'une seule et unique manière de vivre est capable de plaire à tout les hommes existant au monde, dans leur immense variété de désirs ? N'est-il pas possible de tolérer la différence, celle qui rendrait un homme plus heureux, et dont on faisait il fut un temps la richesse du monde ? Où est passé cette doctrine, vis ta vie comme tu le désire et accepte que ton voisin fasse de même ?

    Quand un enfant demande à ses parents pourquoi un homme en tient un autre en laisse, n'est-ce pas là l'occasion de la lui apprendre ?

     


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  • Commentaires

    1
    Joshu'
    Jeudi 26 Mai 2011 à 00:41

    Interessant ! Je te raconte une petite anecdote. ;)
    C'est assez amusant de lire ça, car j'ai eu récemment l'occasion de m'afficher comme petboy dans un lieu public. Une petite convention, pour être exact, organisée par la mairie d'une ville dont je ne citerai pas le nom. L'avantage de ladite convention, c'est que je savais que je pourrais y aller dans mon "accoutrement" sans passer pour une créature étrange (j'ai quand même réussi à passer pour une créature étrange, mais qu'importe).

    En fait, pour être précis, j'étais en combinaison intégrale (zentai), et paré de mon collier et de ma laisse, en plus de mes vêtements. J'arpentais les différentes salles, observant, écoutant, appréciant de me sentir regardé... et à un moment donné, une jeune femme m'a abordé pour me dire que je devais "à tout prix!" voir une certaine demoiselle de ses connaissance. J'ai donc suivi, curieux.
    Il se trouve que la demoiselle en question était une fillette à laquelle je donnerai probablement 7 ou 8 ans, pas plus. Le genre "garçon manqué" (je n'aime pas trop cette expression, qui insinue d'une certaine façon qu'une fille se doit d'être "féminine" et qu'un homme doit être "viril", mais on se comprend). Elle a proclamé que j'étais un loup, et a décidé de me pourchasser. Je ne suis pas forcément à l'aise avec les enfants d'habitude, mais j'ignore pourquoi, j'ai spontanément joué le jeu. J'ai courru, j'ai dévalé des escaliers, je me suis caché, j'ai roulé sous des tables... pour fuir une gamine qui me pourchassait avec une épée en plastic en clamant que j'étais un méchant loup. Elle a finit par me mettre en "prison", de laquelle j'ai pu sortir en me montrant particulièrement sage (je fais très bien le beau, il faut croire), puis a finalement décrété que j'étais devenu un gentil chien, et m'a... traîné en laisse pour me montrer à ses parents.
    Qu'on le croit ou pas, les parents ont trouvé ça plutôt amusant, et m'ont même demandé à prendre une photo avec la môme. J'imagine qu'ils devaient être plutôt heureux que je leur permette de ne pas avoir l'enfant dans les pattes un moment.

    Plusieurs personnes m'ont trainé en laisse, et il m'est arrivé à plusieurs reprises de marcher à quatre pattes jusqu'à ce qu'un membre du staff me croise, et me dise de me lever parce qu'il "y a des enfants ici que je ne devais pas choquer".

    J'ai obtempéré, d'autant que j'ai pris l'habitude de prononcer le moins de mots que possible. Mais ça m'a fait grincer des dents. Les adultes, les "grandes personnes" mettent des oeillères aux momes en s'imaginant les protéger d'horribles monstres. Evidemment qu'il y a des limites à avoir, je ne vais pas m'amuser à montrer un film ultraviolent ou sexuel à un enfant, j'aimerai autant qu'il puisse dormir sans faire des cauchemards horribles !

    On pense trop souvent qu'on va choquer les enfants avec ceci ou celà. Pourtant, les mômes ont leur vision bien à eux des choses, avec leur esprit d'enfant, qui font qu'ils vont avoir tendance à relativiser bien différemment. Voir deux personnes du même sexe s'embrasser dans la rue, un homme en tirer un autre en laisse, ça ne "choque" pas les enfants. Ca les fait simplement se questionner, comme pour la plupart des choses, parce qu'ils n'ont peut-être jamais vu ça avant.
    Alors evidemment, je vois mal un parent dire "eh bien tu vois mon petit, celui-ci, il est dans le BDSM, c'est l'esclave de l'autre monsieur", mais je pense qu'ils peuvent facilement inventer, si le sujet les gêne. "Eh bien le monsieur aime peut-être bien faire le chien", ça passe facilement, surtout quand on sait que les enfants sont du genre à connaître ce genre de "jeux", mais à leur façon... combien de fois je vois des mômes faire comme s'ils étaient des animaux, jouer à s'attacher, ou à se tuer, etc... ils voient simplement les choses avec leur regard d'enfant, et ça n'en fait pas des dangereux détraqués en grandissant pour autant !

    Je suis aussi contre le fait d'enfermer les enfants dans une espèce de bulle protectrice qui les coupe de tout. Vouloir les protéger c'est une chose, mais les couper de la réalité en est une autre.

    2
    hundurthraell Profil de hundurthraell
    Vendredi 27 Mai 2011 à 14:54

    Eh bien, ça fait un magnifique petit pavé pour quelqu'un d'habitué à prononcer le moins de mots possible. ;p

    Une sympathique histoire, avec hélas le petit bémol de la fin. Il y a toujours des gens comme ça, qui considèrent savoir comment il faut vivre et refusent de voir quelqu'un faire autrement. C'est abominable pour eux, c'est scandalisant, c'est honteux, c'est un péché, c'est... c'est tentant peut-être. En fait, ils doivent être jaloux de voir des gens être ce qu'ils ont envie d'être.

    Même pas, puisque ça pouvait juste être un délire d'une soirée en plus. Non, c'est juste qu'on les dérange dans leur conception du monde et de la vie que tout le monde de toute façon devraient religieusement respecter.

     

    Personnellement, j'aurais bien aimé voir ça. Je n'ai jamais vu de zentai en vrai, et je me dis que ca doit être amusant à voir, et à faire.

    Alalala, tant de choses qu'on a envie de faire, et on supplie son Maître pour qu'on puisse s'y essayer... Et lui s'amuse de nous voir le supplier. Comme la vie est cruelle. :p

     

    Bienvenue sur ce petit coin du web, et je vais m'arrêter là, parce que moi aussi, il faut que j'apprenne à ne plus être un moulin à paroles.

     

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