• Au bord de la route.

    Quel est le pire ennemi d'un esclave ? Non, ce n'est pas son Maître, suivez un peu dans le fond !

    Tout le monde possède ses plaisirs, ses préférences, ses craintes, ses phobies, ses joies et ses peines, ses rancœurs et ses haines. Mais je ne pense pas me faire beaucoup d'opposants en disant qu'une crainte commune à tout les esclaves ou presque, à des degrés divers, c'est le sentiment d'abandon. Au passage, je vous prie de m'excuser de vous l'avoir fait subir deux semaines durant. :p

     

    A chaque fois que je raconte une de mes anecdotes, je me pose toujours la même question : je me demande si c'est une histoire que tout les esclaves vivent à un moment ou un autre, ou si je suis un peu particulier et que des choses assez rares m'arrivent. Mais comme elles illustrent bien mes réflexions par un exemple adapté, je persiste :

    C'était il y a longtemps, très longtemps, il y a deux ou trois ans, quelque part par là. J'en étais encore à mes débuts dans la soumission, chien de mon Maître à mi-temps. Nous étions en forêt, installés dans un coin avec des amis. Nous partîmes tout les deux en promenade dans les environs, la laisse au collier.

    C'était un moment ma foi fort agréable, jusqu'à cet instant fatidique : ne trouvant pas son briquet dans sa poche (mon Maître ne fume pas, mais un briquet peut avoir bien d'autre utilités...) il fit demi-tour en lâchant négligemment ma laisse, sans vraiment y penser.

     

    Est-ce moi qui suis particulièrement sensible – ou particulièrement chiant – ou est-ce assez commun dans la population esclave ? On distingue bien les deux possibilités : celle où le Maître lâche volontairement la laisse, car c'est sa décision, son désir, et celle où il la lâche par inattention, par négligence, par maladresse. Je ne saurais dire quels critères précis permettent de distinguer l'un et l'autre, il faudrait un jour que j'y réfléchisse un peu plus longuement. En attendant, ce que je sais, c'est qu'il est possible de les reconnaître.

    Donc, je disais, est-ce que c'est moi, ou est-ce « normal » ? Le fait de lâcher négligemment ma laisse est moralement douloureux. Une fois attachée au collier, elle devient un symbole physique puissant de mon appartenance, de ma soumission, de mon asservissement, renforçant d'autant plus la sensation que j'en ai. J'ai l'habitude de dire, même si je fais le mouton là-dessus, qu'un bon esclave ne se sent pas soumis et asservi quand il porte le collier, mais il se sent aussi ainsi quand il ne le porte pas. Pour l'instant, je ne suis pas à ce niveau-là, pas encore, et les repères physiques, visibles, ont encore une forte influence sur moi.

    Je disais donc, la laisse devient un symbole fort de la domination et de l'affection qui nous lient, mon Maître et moi. Et que se passe-t-il, s'il perd la laisse, négligemment, sans même le remarquer ? C'est un symbole qui se brise, et, avec lui, ce qu'il représente. S'il fait si peu attention à la laisse attachée à mon cou, m'accorde-t-il vraiment de l'importance ? Tient-il vraiment à moi ? Soudainement séparé physiquement du Maître, on se sent séparé émotionellement de lui, on lui trouve, tout d'un coup, de l'indifférence à notre égard. Ainsi commence le sentiment d'être abandonné par lui.

     

    Cet effet n'existe pas dans le cas où il me lâche volontairement. Parce que la « libération » est accompagné d'un ordre, ou d'une explication, ou même parce que l'attention du Maître se reporte ne serait-ce qu'un instant sur moi, et je le remarque, je comprend qu'il me lâche volontairement, pour une certaine raison qui existe même s'il ne me la dit pas. Le simple fait d'avoir son attention reporté sur moi, même un instant, suffit généralement à désamorcer ce sentiment. C'est une annulation de la symbolique de la laisse avant que le lien ne soit rompu, c'est un message transmis tacitement : « Je vais te lâcher, mais ce n'est pas pour autant que tu dois te sentir déchargé de toute servitude. »

     

    Vous l'aurez compris, le sentiment d'abandon est, je pense, l'impression d'être libéré de toute servitude, de ne plus avoir de Maître, ne plus ressentir l'étreinte rassurante de son autorité. Pour un esclave, il n'y a à mon avis pas grand chose de pire, émotionellement parlant, que soudainement ne plus être asservi à un Maître. Une fois qu'on a goûté à la servitude, on ne peut plus s'en passer.

    Quand je suis devenu esclave, j'ai eu la sincère impression d'être enfin à ma place, d'avoir trouvé mon rôle dans la vie. Je ne crois pas au finalisme, cette doctrine expliquant que tout ce qui existe a un but enraciné dès sa création au plus profond de son identité, et dont ce serait un crime contre l'Univers de se détourner. Mais cela ne m'empêche pas, depuis mon asservissement, de ressentir une cohérence comme jamais auparavant entre ce que je suis et ce que je vis, ce que beaucoup de gens doivent décrire comme « enfin se sentir vivant ». Le sentiment d'abandon, c'est la perte de cette cohérence.

     

    D'un autre côté, si c'est le pire ennemi de l'esclave, ou plutôt sa pire crainte, c'est aussi, je crois, un allié du Maître. Savoir générer à volonté ce sentiment chez sa propriété lui donne un contrôle difficilement égalable. Il y a peu de punition plus insupportable pour un esclave que de ne plus pouvoir servir son Maître. A mon sens, les punitions doivent être exceptionnelles, à la fois dans leur rareté et dans leur gravité. Au niveau gravité, nous avons là du lourd.

    Il y a visiblement un discours assez à la mode ces derniers temps chez les Dominants, du peu que j'ai pu en voir. Il considèrent, peut-être avec un peu de fatalisme, que le véritable dominant du « jeu », celui qui décide de comment se passe la relation D/s, c'est le soumis. Certes, on ne peut pas absolument tout faire avec un soumis donné, c'est un fait. Si on pouvait affirmer le contraire de l'un d'entre eux, alors on serait tombé sur un soumis parfait, et un soumis parfait, ben ça existe pas. Et même s'il existait, il serait déjà mort écartelé depuis longtemps à force que les Dominants se le soient disputés.

    Donc oui, votre domination a des limites, différentes en fonction des soumis et de leurs spécificités. Mais sincèrement, pensez-vous ne pas avoir votre mot à dire ? Pensez-vous être nos marionnettes ? Et même si c'était le cas, comment, vous, mesdames et messieurs les Dominants (je met de côté le cas un peu particulier des « switchs »), qui voulez contrôler et ne point être contrôlés, pouvez-vous accepter cet état de fait ?

     

    Si un soumis refuse de servir d'une certaine manière, il y a une technique très simple que j'ai déjà vu décrite par plusieurs Dominants. Mon Maître l'a déjà utilisé une fois ou deux, même si ce n'est pas vraiment un réflexe chez lui, par manque d'expérience et d'habitude (ça viendra, ça viendra). Il suffit de mettre un peu d'exigence et de tout-ou-rien dans sa façon d'agir : « Soit tu me sers comme je te l'ai ordonné, soit tu ne me sers plus du tout ». Et au Dominant de refuser catégoriquement tout service que son soumis lui rend et de se montrer totalement indifférent vis-à-vis de son petit protégé, bref, de l'« abandonner » jusqu'à ce que celui-ci consente à faire ce qu'on lui a demandé. Dans ce petit jeu, en tout cas entre mon Maître et moi, je sais déjà qui craque le premier, et cela lui assure le contrôle de notre relation.

     

     

    P.S. : Je viens de me rendre compte, après relecture de cet article, qu'il peut prêter à confusion. Il y a deux sentiments qu'on peut qualifier « d'abandon » dans ce genre de relation : celui de se sentir abandonné par le Maître, que j'ai traité ici, et celui de s'abandonner dans les mains du Maître, de lui donner toute responsabilité, de baisser toute les barrières et de développer, momentanément hélas, une obéissance aveugle et inconditionnelle, de se concentrer uniquement sur son désir de servir le Maître et de lui plaire. Bref, de passer en état agentique, comme le nomme Stanley Milgram. Ce sentiment-là, je le traiterai peut-être dans un autre article. ;)

     


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